L’initiative « Récits de changement nutritionnel » est une série d’études conçues pour évaluer et analyser systématiquement les facteurs de changement dans les pays qui ont réussi à faire progresser l’amélioration des interventions nutritionnelles. L’approche multi-méthodes, qui combine une analyse des données et des politiques, avec des données issues d’entretiens avec les parties prenantes au niveau national, infranational (par exemple l’État) et communautaire, est désormais une composante importante du travail des partenaires de Transform Nutrition West Africa. Les études se concentrent sur les leçons et les défis dans trois de nos quatre pays cibles : le Nigeria, le Burkina Faso et le Ghana (le quatrième pays cible, le Sénégal, faisait déjà l’objet de notre précédente série d’études dans le cadre du consortium de recherche de Transform Nutrition). Des chercheurs de l’Université du Ghana, de l’Institut supérieur des sciences de la population du Burkina Faso, de l’Université d’Ibadan au Nigéria, de l’IFPRI et de l’IDS ont travaillé aux côtés de consultant-chercheurs (Olutayo Adeyemi, Zuzanna Turowska, Emilie Buttarelli) pour étudier les récits de changement au niveau de la prévalence du retard de croissance dans les trois pays, et de l’anémie au Ghana.
Alors que nous touchons à la fin de la deuxième année d’existence de Transform Nutrition West Africa, deux études au Ghana et au Burkina Faso sont presque terminées. Nous en faisons actuellement la synthèse et menons une réflexion quant aux conclusions qui en découlent.
Le Burkina Faso et le Ghana ont connu un changement impressionnant au niveau du retard de croissance : au Burkina Faso, le retard de croissance des moins de cinq ans est passé de 45 % à 25 % entre 1998/99 et 2018, tandis qu’au Ghana, le retard de croissance des moins de cinq ans est passé de 28 % en 2008 à 19 % en 2017. Néanmoins, au Ghana pendant la même période, le taux d’anémie chez les enfants est resté très élevé (78 % en 2008), ne diminuant que légèrement (67 % en 2014).
L’analyse des données au Ghana (via une technique connue sous le nom d’analyse de décomposition) révèle que l’amélioration des interventions à court terme comme la richesse des ménages, la lutte contre les maladies infectieuses et les services de santé reproductive, parallèlement au bien-être à plus long terme des mères (représenté par la taille et l’éducation des mères) est susceptible d’expliquer environ la moitié de la réduction de l’anémie et du retard de croissance chez les jeunes enfants. Les entretiens avec les parties prenantes et l’analyse des politiques révèlent le lancement de multiples politiques et programmes pour lutter contre le retard de croissance dans tous les secteurs. Par exemple, une politique nationale phare en matière de nutrition a été élaborée et publiée en 2016. Cette politique a situé la réduction du retard de croissance au cœur des résultats attendus du développement humain. Les principaux programmes d’intervention initiés/mis en œuvre au cours de la période comprenaient l’enrichissement de masse des aliments, la supplémentation en micronutriments, l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant, la lutte contre les infections, la protection sociale, et l’eau et l’assainissement. Ces politiques et programmes ont été stimulés par plusieurs situations, notamment :
1) le rôle du Service sanitaire du Ghana (Ghana Health Service) dans la direction et la mise en œuvre des politiques, soutenu par les partenaires de développement locaux et internationaux,
2) l’adhésion du Ghana au mouvement SUN [1] en 2011,
3) des éléments de preuves démontrant le coût élevé de la dénutrition chez les enfants au Ghana, et
4) la priorité accordée à la nutrition en tant que résultat sanitaire clé.
Plus largement, plusieurs évolutions structurelles importantes sont à l’origine de ce changement : le Ghana a connu une croissance socio-économique importante au cours de la dernière décennie (2009-2018). Les indicateurs de cette croissance comprennent l’expansion de l’économie (en transition vers un pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure) et l’expansion des infrastructures et des services sociaux, technologiques et sanitaires. Parallèlement à la réduction de la dénutrition, il y a eu d’autres changements au niveau de la pauvreté, de la morbidité et de la mortalité chez les femmes et les enfants.
Au Burkina Faso, l’analyse des données révèle que l’amélioration des taux de vaccination a été le principal moteur de changement concernant l’amélioration du retard de croissance chez les enfants entre 1993 et 2010. Comme au Ghana, les entretiens avec les parties prenantes et l’analyse des politiques indiquent que le ministère de la Santé (MdS) et ses partenaires techniques et financiers du Burkina ont été les plus engagés et les plus actifs dans le domaine de la nutrition, bien que le ministère de l’Agriculture soit décrit comme le ministère exerçant la plus grande influence dans le domaine de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Le ministère de la Santé et sa Direction de la nutrition ont adopté de nombreuses lois sur la nutrition, embauché davantage d’agents de santé et de nutritionnistes, et mettent en œuvre des programmes de santé préventive (y compris de vaccination) et une politique de soins de santé gratuits pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans qui, ensemble, ont entraîné des améliorations au niveau nutritionnel.
Le travail au niveau communautaire au Burkina Faso montre qu’il est important de mieux saisir les perceptions des membres de la communauté quant aux facteurs locaux du changement. Les membres de la communauté ont cité des améliorations dans l’accès aux systèmes de santé et la diversification de l’alimentation. Les communautés ont également cité l’implication du personnel de différents ministères (santé et agriculture) auprès de la population par le biais des femmes, des jeunes et des organisations de la société civile. Cependant, la pauvreté systémique entrave la capacité des communautés à couvrir les besoins fondamentaux et entrave l’amélioration de la nutrition. Les répondants communautaires ont déclaré ne pas être en mesure d’acheter de nourriture, de payer les frais de scolarité, d’acheter des intrants agricoles ou de payer les médicaments. Il serait peut-être nécessaire de se concentrer davantage sur l’alphabétisation, le financement de l’éducation, la création d’un accès au crédit et la fourniture de services sociaux pour atténuer certains de ces problèmes.
Plus largement, l’analyse au Burkina Faso souligne la nécessité de considérer d’autres facteurs qui influent sur le retard de croissance, en particulier la défécation en plein air ou la prévalence du paludisme, tandis qu’au Ghana, les résultats émergents indiquent la nécessité pour les nouveaux programmes d’intégrer le plaidoyer pour un financement accru du gouvernement, d’élargir la couverture géographique d’interventions efficaces, d’améliorer la qualité de l’alimentation des enfants, de renforcer les capacités dans la prestation de services de nutrition et d’améliorer la coordination des efforts entre les parties prenantes. Dans les deux pays, les problèmes futurs seront vraisemblement liés à a croissance de formes relativement nouvelles de malnutrition – à savoir la prévalence du surpoids et de l’obésité. Au niveau communautaire au Burkina Faso, les femmes ont expliqué que les gâteaux et les sucreries sont de nouveaux arrivants sur le marché et ont exprimé des inquiétudes quant à la valeur nutritive de ces aliments. Bien que le gouvernement ne semble pas s’attaquer systématiquement aux problèmes liés à la surconsommation d’aliments riches en matières grasses et riches en sucre, les préoccupations de ces femmes signalent de potentiels défis à l’avenir. Les leçons à éviter peuvent être tirées du Ghana, où l’obésité chez les femmes a déjà atteint 16,6 % et où la prévalence du surpoids chez les femmes est de 41 % (chez les hommes, ces chiffres sont encore nettement inférieurs à 4,5 % et 22,1 %).
De tels défis ont influencé un nouvel ensemble d’études à travers le monde qui se penchera sur les « les récits des défis en matière de nutrition » de différents pays, en particulier concernant l’obésité, le surpoids et le « double fardeau » (de multiples formes de malnutrition simultanées), y compris une étude qui mettra l’accent sur les perceptions de la communauté à l’égard des facteurs du surpoids et de l’obésité chez les femmes au Ghana. Ces études cumulées devraient fournir un ensemble impressionnant de ressources pour ceux qui veulent transformer la nutrition en Afrique de l’Ouest
[1] Scaling Up Nutrition (initiative de renforcement de la nutrition)